Le sport scolaire au cœur de la culture Rugby
Arnaud Faudot, André Pontaut
Et si la citoyenneté commençait par la réussite d’une passe de rugby
Le sport scolaire au cœur de la culture rugby (A. FAUDOT A. PONTAUT)
Fraîchement arrivés de nos provinces respectives au collège R. Poincaré de La Courneuve en Seine-Saint-Denis, nous n’avions qu’une hantise pour commencer notre métier : que nos cours se passent mal.
En d’autres termes, nos débutions dans un établissement où les élèves étaient présentés comme turbulents, indisciplinés et où il nous serait difficile de faire cours.
A cette époque, le rugby tenait déjà une place importante dans l’établissement ; les 6ème 5ème et 4ème faisaient déjà un cycle long de rugby, l’Association Sportive rugby du collège comptait une trentaine de licenciés et chaque fin d’année, une journée ovalienne (sorte de tournoi inter-classes pour tout l’établissement), était organisée.
L’enseignement du rugby était déjà ancré dans l’esprit des élèves ; c’est dans ce contexte, assez confortable, que nous avons ainsi livré nos premiers cours de rugby, relativisant nos appréhensions initiales (on ne cachera pas bien entendu, quelques « prises de tête », heures de colle ou entrevue avec les parents pour s’assurer la ”paix”). Nous avions le sentiment de bien faire notre métier de ”prof dans un collège de cité” : les cours semblaient pacifiés, et en toute honnêteté, le fait de ne pas se faire ”bordéliser” nous satisfaisait amplement.
Cependant, deux événements salvateurs vont venir bouleverser notre confort et notre pratique :
– Lors de notre premier championnat de France UNSS, notre équipe minime garçon, malgré un gros potentiel physique, se fait éliminer : notre rugby s’apparentait beaucoup à un « lâcher de poules dans une basse-cours », où nos chères gallinacés courraient dans tous les coins du terrain afin d’attraper tant bien que mal l’unique grain de maïs mis à leur disposition ; autant dire que notre jeu était une suite d’actions individuelles sans aucun ancrage dans le collectif. Premier constat : nos élèves n’ étaient pas très bons sur un terrain de rugby et donc, nous non plus dans notre métier, par ricochet (boom!).
– Lors de notre deuxième participation aux championnats de France, nous enregistrions notre deuxième désillusion : nous étions la seule équipe estampillée ”banlieue” parmi les 16 présentes. Nos joueurs s’étaient bien tenus. Une collègue organisant la compétition nous dira : « ils n’avaient insulté personne ni volé quoi que ce soit » ; nous reçûmes la coupe du fair-play, bien que nos prestations sportives s’étaient révélées décevantes.
Deuxième constat : nos élèves ”de cité” étaient de « niveau moyen » sur un terrain de rugby, mais cela n’avait guère d’importance, apparemment ; le fait de respecter les règles de vie élémentaires semblait suffire amplement aux yeux de nos collègues. comme si l’acquisition d’une sorte de citoyenneté était l’objectif unique de leur pratique scolaire ; bref, à défaut d’enseigner des contenus efficaces, nous étions quand même des bons profs de citoyenneté (re-boom).
Dès lors, ces deux expériences ont changé notre manière d’appréhender le rugby au sein du collège. Après réflexion, nous avons pris le contre pied de ce que nous faisions précédemment.
La première hypothèse de travail s’imposait alors : les acquisitions techniques, tactiques et réglementaires sur le jeu devaient être au centre de notre enseignement. Les exigences culturelles devaient constituer le noyau central de notre métier. A ce titre, le sport scolaire (tournois inter-classes, compétitions UNSS ) ne devait plus être considéré comme une juxtaposition aux cours d’EPS mais plutôt envisagé comme un outil révélateur des acquis techniques, tactiques et réglementaires ; il fallait utiliser le sport scolaire pour approfondir les apprentissages mais aussi pour valider l’efficacité des contenus élaborés en cours ; le sport scolaire et la compétition comme moyen ultime de donner du sens à nos contenus et les légitimer.
Comment faire ? Nous sommes partis du règlement du tournoi inter-classes rugby du 93 (où sur 2 jours, environ 3000 élèves du primaire au lycée s’affrontent sur des matchs à 8 conte 8) pour construire nos contenus rugbystiques en EPS. Ce règlement fait la part belle au jeu de course, à la continuité du jeu debout où les blocages de + de 2 secondes sont proscrits ; il fallait s’adapter.
Nous nous sommes alors engagés dans l’apprentissage des passes avant contact, avec du jeu dans les espaces libres ou dans le dos de l’adversaire, en gagnant ses duels pour assurer la continuité rapide du jeu au contact ; (tout ceci ne pouvant se faire sans acquisitions réglementaires, nous avons aussi accordé beaucoup d’ importance à la formation des jeunes officiels). L’exigence culturelle est devenue première, aux yeux des élèves : notre autorité passerait désormais par leur propre progression en tant qu’élève pratiquant l’activité rugby. Le fait d’utiliser le sport scolaire comme fil conducteur de nos cours, nous a permis d’aborder des contenus exigeants et de pouvoir les valider sur des temps originaux de pratique : journée ovalienne, tournoi inter-classes du 93 ou compétitions UNSS.
La deuxième hypothèse de travail que nous avons adopté fut la suivante : ne plus considérer la citoyenneté comme une histoire de morale ou de ”flicage” pour arriver à la bonne tenue de nos élèves. Au contraire, il s agissait de sortir de ce statut de ”prof de citoyenneté” pour (re)devenir des enseignants d’une EPS culturellement exigeante. C’est par l’apprentissage, dans un premier temps, de contenus précis et très ancrés culturellement à l’activité, que nous pouvons permettre à nos élèves d’accéder à la citoyenneté dans un deuxième temps et non l’inverse ! C’est la connaissance des règles du jeu, les acquis techniques et tactiques qui font de nos élèves, des pratiquants de plus en plus compétents ; ils deviennent alors capables de se réguler, de s’engager de manière lucide, et ainsi d’acquérir, de manière consciente et volontaire, un comportement de plus en plus citoyen.
Pour conclure notre témoignage de 10 ans de rugby au collège R Poincaré : il s’agit , en fait, de l’histoire d’un processus complexe qui aboutit à la découverte de deux retournements fondamentaux dans la manière d’aborder notre métier.
Le premier, place le sport scolaire comme révélateur privilégié des acquis et contenus enseignés, comme temps d’ approfondissement des apprentissages initiés en EPS et non plus comme un moment juxtaposé aux diverses activités du projet EPS.
Le deuxième nous a montré que la citoyenneté n’est surtout pas une pacification ou une morale à aborder en priorité ; bien au contraire, elle ne peut émerger, petit à petit, que de la somme des acquis culturels.
Au cours de ces dix ans nous avons vu augmenter le niveau de pratique des élèves, notamment lors des tournois interclasses, notre AS rugby a compté jusqu’à 65 licenciés et nos minimes garçons ont disputé la finale du championnat de France UNSS en 2009. Enfin, au mois de mai dernier, 5 anciens élèves sont venus nous voir en exprimant le désir de créer un club de rugby à La Courneuve afin de poursuivre l’aventure en dehors de l’école. A l’heure où nous écrivons ces lignes, une vingtaine de leurs petits frères et sœurs composent cette école de rugby.
Arnaud FAUDOT André PONTAUT
La Courneuve, septembre 2011. in Revue EP.S 358