Hommage René Deleplace
Vingt mois après sa disparition c’est toujours avec autant de difficulté, mais aussi avec une immense fierté que j’évoque René Deleplace. Difficulté parce que le professeur d’EPS que j’ai été pendant près de quarante ans se trouve bien petit devant l’immense personnage de René
mais aussi parce que je ne sais pas trop s’il aurait aimé que l’on parle de lui tant il avait horreur que l’on cultive ce qu’il appelait « le culte de la personnalité ».Difficulté encore parce qu’on oublie forcément des pans entiers de son oeuvre colossale dans les domaines de la musique, du sport, et de l’éducation physique , lorsqu’on ne l’écorne pas !Sans parler bien sûr de son domaine privé qu’il a su construire avec Geneviève son épouse, à qui l’on souhaite un prompt rétablissement.
Parce que ce qui caractérisait surtout René c’est cette cohérence sans faille dans sa façon d’être au monde : il vivait ce qu’il pensait, il pensait ce qu’il vivait. Sans accroc, sans compromis bien sûr. Et lorsqu’on a eu l’immense privilège d’avoir côtoyé René on ne peux comprendre, ni s’expliquer les querelles qui ont traversé le monde du sport et de L’éducation physique tentant d’opposer l’entraineur et le professeur d’EPS : René était un professeur entrainant, il était aussi un entraineur qui transmettait des savoirs et des valeurs. Pas plus qu’on ne peux supporter les vrais faux procès de certains esprits petits et tordus qui lui ont fait payer au prix fort sa double appartenance au monde des enseignants brillants, novateurs et au parti communiste. Il a su triompher de ces bassesses : aujourd’hui ses convictions inondent les sports et l’EPS !
Parce que, oui, les recherches de René dans le domaine de l’EPS et du rugby en particulier n’ont jamais eu d’autre problématique que de faire entrer le plus grand nombre dans l’activité physique et dans le rugby, tout simplement, tout naturellement : la culture sportive doit obligatoirement pénétrer toutes les couches de la société. Et c’est ainsi qu’il était capable d’entrainer sur le même terrain, dans des conditions souvent épouvantables, toujours avec une grande rigueur et de grandes exigences, plus de quarante joueurs et quelque soit leur catégorie d’âge ! Je l’ai vu aussi tenir en haleine pendant plus de deux heures ,sous une pluie battante, entre quatre arbres de la cité universitaire, cinq jeunes minimes courageux que le temps exécrable n’avait pas rebuté, en toute simplicité, parce que telle était sa mission ce jour là.
Mais on ne peut pas faire fi bien sûr, en pleine coupe du monde, de ce que René a apporté au monde du rugby !
Pour faire court je dirai que depuis René, les spécialistes du monde entier ne voient plus, ne pensent plus le rugby de la même manière. Non pas qu’il ait inventé un autre rugby, il s’en est bien gardé, laissant aux seuls joueurs la responsabilité de la pratique et de ses évolutions, mais il a incontestablement apporté un éclairage nouveau sur les sports collectifs en général et sur le rugby en particulier.
Si l’on entend parler de jeu de mouvement aujourd’hui, si la plupart des entraineurs cherchent à ce que leurs équipes créent de plus en plus de mouvement, il me semble bien que c’est à René qu’on le doit (les télévisions devraient lui faire une statue !). Mais le génie de René ne s’arrête pas dans une autre vision de ce jeu : il a inventé, de toute pièce, une autre façon d’entrainer. Avec lui, on ne part plus des phases statiques , mêlées ou touches, pour refaire un puzzle de rugby, on part de la compréhension de ce que fait l’une des équipes relativement à ce que fait l’autre au même moment : il bâtit alors une systématique des décisions en jeu et il crée des exercices aux différents plans de l’action qui se superposent au cours d’une rencontre. Sans jamais nier, bien évidement , l’importance des phases statiques mais en les replaçant relativement au jeu de plein mouvement et au jeu sur mêlées ouvertes . Un renversement génial qui n’est plus remis en cause de nos jours, au contraire ! Se pose alors le comment faire entrer TOUS les élèves dans l’activité : qu’à cela ne tienne : il remodèle complètement les lois du jeu, sans jamais les dénaturer, pour offrir aux débutants un règlement qui l’autorise à rentrer de plein pied dans l’activité, autre coup de génie !
Mais en citant ces exemples il me semble déjà que je « parcellise »René, que je réduis son oeuvre et que je mets à mal l’unité du Personnage, ce que j’ai le plus admiré durant toute notre vie ! Car vous savez maintenant pourquoi c’est un immense honneur pour moi de lui rendre hommage, en espérant qu’il ne m’en veuille pas trop !
La Courneuve le 16 Septembre 2011
in Revue EP.S 358 Rugby : le mouvement comme culture